Mathématiques en émergence

Les nouvelles problématiques environnementales et sociétales demandent de mieux comprendre de nombreux comportements complexes fortement hétérogènes. Inspirés par ces problématiques, les mathématiciens formalisent de nouvelles questions et tentent d’en apporter des réponses (voir Mathématiques du monde réel) en puisant dans leur culture mathématique. Ces réponses nécessitent parfois le développement de nouvelles mathématiques.

 

De nombreux comportements sont encore insuffisamment décrits par la théorie. Par exemple, les fluides visco-élasto-plastiques, la dynamique des populations ou le comportement culturel nécessitent de nouveaux modèles. Mais aussi la gestion des interactions, l’analyse des données massives et la prise en compte de l’aléa posent de nouvelles questions aux mathématiciens. Nous présentons ici les théories émergentes, qui répondent aux problèmes de prise en compte des hétérogénéités, de l’aléa puis de l’incertitude.

Faire face aux hétérogénéités

Face à la complexité, deux approches : pour la première il s’agit de simplifier en définissant des invariants qui permettent de réduire les dimensions des modèles ou des données ; la deuxième approche est d’intégrer plus de complexité pour prendre en compte toutes les interactions et toutes les échelles. Les deux approches sont étroitement liées. En effet, il faut aller vers la complexité avec pertinence car en prenant un point de vue légèrement décalé, le complexe sera peut-être plus « simple ».

La première approche consiste à simplifier. Les méthodes de réduction de modèles s’attaquent aux grandes dimensions des modèles. L’analyse des données massives, quant à elle demande de savoir trier, construire des invariants pertinents pour analyser des observations nombreuses et hétérogènes. Par exemple, dans Big data cherche mathématiques, les algorithmes de classification en grande dimension peuvent, en agrégeant un grand nombre d’indicateurs de faible expertise mais très divers, répondre à des questions complexes.

La seconde approche demande de traiter des problèmes dans toute leur complexité. Elle passe par le souci d’intégrer des comportements multi-échelles, ou multi-processus.

Multi-échelle en temps : pour comprendre l’évolution du comportement humain, il manque encore d’une description des interactions entre apprentissage culturel au temps court et évolution génétique au temps plus long.

Multi-échelle en espace : séparer les échelles est parfois difficile quand il y a de fortes interactions entre elles. C’est le cas de la modélisation des ondes de gravité qui souffre d’une pauvre représentation des cascades d’énergie entre échelles, encore mal modélisées. Mais c’est aussi le cas en modélisation de l’adaptation où les couplages écologie/évolution doivent prendre en compte non seulement des interactions locales mais également des impacts à l’échelle globale. 

Diffusion d’énergie mais aussi diffusion de rumeurs ou d’épidémies sur un réseau complexe social ou biologique. Introduire les effets de la topologie, prendre en compte une diffusion non homogène, ou supposer un état multiple voire continu (par opposition à l’état binaire malade/sain par exemple) induit des degrés de complexité supplémentaires et pose d’énormes défis mathématiques. Les défis se trouvent aussi en analyse des fluides complexes, tels que les avalanches ou l’écoulement des calottes polaires, avec les transitions de phase, les instabilités de surface libre ou les fronts et dynamiques de rupture.

Multi-processus : étudier les risques en hydrologie fluviale et côtière amène à modéliser l’interaction entre vagues, sédiments et fond. Plus généralement, les conditions aux bords ou les conditions de couplage posent de gros problèmes d’analyse mathématique. Enfin, analyser des réseaux multiplexes, capables de traiter la diffusion conjointe de plusieurs épidémies, ou encore des multi-jeux prenant en compte plusieurs types d’interactions sociales demandent d’utiliser non pas une seule branche des mathématiques mais un mélange de différentes théories. Se dessine alors un monde où cohabitent déterminisme et stochastique.

Gérer l’aléa

L’aléatoire est indispensable pour comprendre le comportement à l’échelle de l’individu ou à l’échelle microscopique. Seulement, se contenter de l’échelle discrète est limitant pour une analyse plus poussée des comportements collectifs. Dans les modèles individus-centrés, les réseaux ou les jeux, le passage au continu est en train de se faire. En théorie des jeux, de nombreux développements, sur des cas idéalisés de jeux répétés à deux joueurs et à somme nulle, ont permis de passer au temps continu et de faire un lien avec une analyse de comportement uniforme. Les théories avancent également en ce qui concerne la caractérisation des phénomènes d’émergence et auto-organisation. Cela demande de renouveler les outils de la physique statistique, car ici la seconde loi de la thermodynamique n’est pas vérifiée. Il est aussi difficile d’exprimer des lois de conservation qui pourraient aider à décrire des comportements à une échelle macroscopique. Cependant, il existe des pistes prometteuses, telles que la théorie des jeux à champ moyen : combinaison de la théorie cinétique et de la théorie des jeux (voir le site Un jour, une brève).

C’est aussi l’avènement de la modélisation déterministe-stochastique. Dans les disciplines traditionnellement déterministes, des processus stochastiques s’immiscent pour mieux prendre en compte l’aléa génétique en dynamique de populations ou encore pour mieux quantifier les incertitudes de nombreux modèles tels que les systèmes climatiques. Et les méthodes de réduction de modèles, quant à elles, appellent à une utilisation du déterminisme dans les méthodes stochastiques. Nous voyons également le développement des équations aux dérivées partielles stochastiques en dynamique des populations. Pourraient-elles s’appliquer à d’autres domaines comme ... en paramétrisations sous mailles pour la turbulence des fluides ?

Gérer l’environnement incertain

Un environnement est incertain parce qu’on dispose de peu de données, comme c’est le cas pour la topographie  des rivières ou pour les lois rhéologiques, on utilise alors des approches statistiques telles que les méthodes stochastiques pour l’analyse des valeurs extrêmes ou rares. L’environnement peut aussi être incertain parce que variable dans le temps. Ainsi, nombreux sont les problèmes où l’humain intervient avec ses objectifs changeants. Nous cherchons alors à tester la robustesse ou la résilience des modèles dans ces environnements, mais aussi à prédire la dynamique et les stationnarités. En théorie des jeux, des jeux réduits sont utilisés, dans certains cas, pour pallier la multiplicité des équilibres. La structure de leurs équilibres fait alors apparaître l’émergence de normes sociales. Des recherches, prenant en compte une variabilité temporelle de la structure du jeu, ont aussi permis d’observer une évolution à l’intérieur d’une sous-population ainsi qu’une une évolution des sous-populations dans la population totale. Enfin la structure dynamique des réseaux est aussi envisagée, par exemple, la percolation est étudiée pour évaluer la robustesse d’un réseau s’il y a suppression d’un certain nombre de sommets ou des arêtes.

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