Aides à la compréhension, à la prévision ou à la décision, les mathématiques sont comme une boîte à outils bien pratique. Elle a tout de même des défauts : quelques outils incompris traînent au fond, certains sont restés comme neufs car inutilisables, d’autres encore seraient à inventer… Pour plus d'efficacité, il faut donc prendre un soin particulier à entretenir les liens entre le réel, la théorie et le numérique.
Nous devons faire face à des changements globaux environnementaux et sociétaux toujours plus rapides. Répondre à ces nouveaux défis nous impose de prendre en considération des systèmes très complexes, où l’impact des activités humaines ne peut pas être négligé et où les problématiques sont fortement hétérogènes : multi-échelles et multi-processus. Mais les sciences environnementales1 sont comme les mathématiques, elles nécessitent encore et toujours une recherche fondamentale pour mieux comprendre les processus, pour « simplifier » et formaliser ce que nous percevons du monde extérieur. C’est le travail de certains théoriciens en physique, chimie, biologie, économie, mécanique, des théoriciens qui construisent les modèles. Bien que leur approche soit différente (voir l’encadré Le point de vue des théoriciens d'autres disciplines), ces « modélisateurs » font un travail très proche des mathématiques. Des liens doivent être tissés avec les mathématiques pour mieux prendre en compte les problèmes. En effet, les avancées en mathématiques entraînent très souvent des avancées dans les applications. Vous trouverez ici un aperçu des différents besoins de la recherche théorique jusqu’à la recherche la plus appliquée.
Les besoins en mathématiques apparaissent particulièrement lorsqu’il s’agit de gérer les interactions. Par exemple, différentes échelles de temps sont à prendre en compte en écologie théorique, dans le cas des dynamiques écologiques et évolutionnaires ou pour la représentation des différentes échelles de la biodiversité (individus, populations, espèces, communautés...). La séparation des échelles, qui a été faite jusqu’ici, n’est plus possible avec le raffinement des processus. Mais à partir de quelle échelle quantitative un phénomène peut-il être modélisé par un modèle macroscopique ou au contraire, à partir de quelle échelle doit-on tenir compte des fluctuations aléatoires ? Ce même souci apparaît en dynamique des fluides où modéliser la turbulence est encore et toujours un sujet difficile, notamment parce que dans les cas fortement non-linéaires la séparation d’échelles est moins évidente. Comme montré récemment, l’aléa peut avoir un rôle très important à jouer pour décrire des états bistables en temps long.
Les écoulements de fluides complexes, que ce soient les gels ou les milieux granulaires, ont aussi des comportements difficiles à modéliser. Bien que particulaires ou granulaires, ils ne peuvent pas être traités par la physique statistique classique, car ils ne vérifient pas le second principe d’entropie. Les mathématiques qui ont beaucoup contribué à la physique statistique pourraient apporter de nouveaux théorèmes et de nouveaux modèles. Ces études sont d’autant plus importantes qu’elles pourraient faire avancer tous les domaines mêlant micro-macro, tels que les études sur les mouvements collectifs.
Comprendre les phénomènes passe aussi par l’analyse de données : savoir analyser des données massives ou encore inférer des modèles à partir de jeux de données réduits. Par exemple, extraire la dynamique des structures cohérentes des images satellites requiert des avancées sur l’interpolation optimale dynamique, le traitement d’image et l’assimilation de données, ainsi que de nouveaux outils d’analyse géométrique (voir Faut-il suivre la mode « big data » ?). Nous ressentons un grand besoin d’interactions avec la géométrie ou le calcul des variations, besoin également présent dans les thématiques de géomorphologie et morphogenèse et croissance de plantes.
De nombreuses études nécessitent de modéliser et d’observer des phénomènes non reproductibles en laboratoire : évolution des écosystèmes, du évolution du cycle de l'eau, dynamique et résilience des territoires naturels et sociaux, climat océan et atmosphère, sociologie des réseaux, économie. Deux thèmes transversaux englobent ces études : changements environnementaux planétaires et systèmes complexes. Mais apparaissent aussi, de façon récurrente, les mathématiques :
Coupler différents processus :faut-il coupler des modèles entre eux, chaque modèle étant spécifiquement adapté à un processus, ou bien penser le problème dans sa globalité quitte à avoir un modèle plus « grossier » ?
Prendre en compte l’hétérogénéité que ce soit l’hétérogénéité des agents dans les modèles économiques, les différentes échelles de temps et d’espace des dynamiques sociales ou de la chimie et de la physique dans les modèles climatiques. L’hétérogénéité spatiale n’est pas en reste avec des besoins en raffinement de maillage, et couplage de modèles locaux et globaux.
Valider et maîtriser les modèles avec pour finalité un développement d’outils de diagnostics ou d’indicateurs d’erreurs a posteriori, de calibration de modèles, d’estimation d’incertitudes, d’analyse de sensibilité, d’analyse de viabilité et de résilience des modèles.
De plus en plus, l’outil de modélisation est utilisé en outil de prévision et d’aide à la décision, que ce soit dans la gestion des déchets radioactifs, la modélisation des socio-éco-systèmes marins, pour la gestion durable des ressources, ou pour la compréhension des mécanismes de coopération.
Avec un fort besoin de développements de codes numériques, et un passage à l’échelle difficile, apparaissent insidieusement des besoins en analyse numérique (voir Mathématiques du numérique). Mais cela amène aussi un grand besoin de formalisation de processus difficiles à interpréter de manière intuitive. En effet, ces problématiques d’aide à la décision doivent prendre en compte l’humain, et impliquent les décisions individuelles et collectives. Les objectifs sont changeants, parfois mal définis, souvent multiples. Notons aussi la nécessité de simuler l’aspect dynamique des écosystèmes, ou des sociétés et des institutions. Tous ces besoins font avant tout apparaître la nécessité de créer des liens entre sciences humaines et sociales et mathématiques.
Aussi, des exemples tels que l’ouragan Katrina, le tremblement de terre d’Aquila ou les travaux du GIEC montrent qu’une bonne communication est cruciale entre ceux qui décident et ceux qui ont l’expertise. Par ailleurs, pour aider au mieux la prise de décision, une meilleure compréhension par les scientifiques des incertitudes sur les simulations est nécessaire et ne se fera pas sans les mathématiciens.